Ann Radcliffe : Les mystères de la forêt
Après avoir évoqué cette talentueuse auteure dans un article détaillant l'anthologie Romans terrifiants, je me consacre cette fois uniquement à Ann Radcliffe et à ses Mystères de la forêt.
Dans ce roman, Monsieur de la Motte, un Parisien endetté jusqu'au
cou, décide de fuir la ville pour une destination encore
indéterminée, emmenant avec lui sa femme et un domestique de confiance.
Vous trouvez qu'ils sont dans une mauvaise situation? Attendez un peu.
Voulant obtenir de l'aide, ils s'arrêtent devant une maison de campagne,
dans laquelle de la Motte est retenu par des brigands, détenant
également la jeune Adeline. Le personnage à la tête des brigands n'accepte
de relâcher de la Motte qu'à condition que celui-ci emmène avec lui
Adeline et ne revienne pas. La Motte s'exécute, et Adeline se retrouve entraînée dans leur fuite... Au fil de leurs discussions, la jeune fille
suscite presque immédiatement l'attachement du couple La Motte et du domestique
par sa situation et les horreurs qu'elle a visiblement vécues.
Après quelques heures de route et des arrêts les moins fréquents
possibles, nos personnages trouvent sur leur chemin une abbaye en ruine.
C'est à ce moment que le talent de romancière gothique d'Ann Radcliffe
se révèle une fois de plus : la description des ruines est tout
simplement grandiose, et un de mes passages préférés. On plonge
réellement dans l'univers du roman et les mots prouvent qu'ils sont tout
autant -voire plus- capables que les images de titiller notre
imagination. L'abbaye apparaît comme un lieu très probablement hanté, à
la fois terrifiant et magnifique ; dans les pièces abandonnées et pleines de
poussière demeurent des vestiges de leur ancienne splendeur, tandis que la salle
principale de l'abbaye laisse entendre des cris passant très facilement, tant pour les personnages que pour le lecteur, pour des
lamentations de spectres. L'endroit paraît labyrinthique, avec des
dépendances très nombreuses, des couloirs interminables donnant sur un
nombre incalculable de pièces, des sous-sols, des trappes, des bâtiments
plus récents que les autres... Cependant, si l'abbaye est un lieu terrifiant, elle est le seul refuge dont disposent les personnages, bien qu'ils
apprennent très rapidement qu'elle a une réputation de lieu hanté auprès
des habitants des villages voisins.
Le génie de ce roman réside
non seulement dans la description brillante de l'abbaye, mais également
dans le fait que, dans sa plus grande partie, c'est un huis-clos. En
effet, si l'abbaye est encerclée par une immense forêt, cette dernière
n'offre quasiment aucune possibilité de liberté aux personnages. Quand
bien même Monsieur de la Motte et Adeline aiment s'y promener des heures
durant, son côté chaotique et l'absence de sentiers bien définis,
ajoutés à la proximité du village dont les habitants pourraient
découvrir la présence de la Motte et le dénoncer, font paraitre la forêt
comme une sorte de jardin entourant une prison. Quant à l'abbaye
elle-même, elle m'a rappelé l'hôtel l'Overlook, dans le roman Shinning
de Stephen King, dans la mesure où c'est un lieu apparemment hanté dans
lequel la tension entre les personnages croît de façon démesurée en
même temps qu'une certaine paranoïa s'installe.
Si certains
ont trouvé le roman trop long ou pas assez animé, ne vous fiez pas à ces
commentaires. Si le roman ne contient pas de rebondissements à toutes
les pages, c'est parce qu'Ann Radclife sait distiller le suspense de
façon calculée et redoutablement efficace. On trouve toujours un ton
très romantique à son œuvre, principalement dans le personnage d'Adeline
qui semble vouée au malheur et passe de longues heures à réfléchir
(tristement) à son sort, mais également dans le fait que la tempête
accompagne presque systématiquement les tourments des personnages.
Je ne peux que vous encourager à vous plonger dans ce classique, même
si je dois ajouter une seule petite note négative : dans l'édition que
j'ai lue (Folio, dont vous avez la photo en début d'article), la
traduction est assez basique et ne reflète pas, je vous rassure, le
style de Ann Radcliffe. Si on a un peu de mal à la lecture des premières pages, on
se fait rapidement à la qualité de la traduction pour se
plonger dans l'histoire dont, bien heureusement, l'intelligence surpasse ce défaut. Vous pourrez également apprécier le
très bon choix de la couverture, dont le personnage correspond très
bien à la représentation que l'on peut se faire d'Adeline.
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