Trois oboles pour Charon - Franck Ferric

   "Le plus grave des outrages est l'hybris, l'orgueil démesuré qui fait croire à l'homme qu'il égale les dieux, et nombreux furent ceux parmi tes semblables qui s'en rendirent coupables par ta faute. Hadès était furieux."

    Je l'ai évoqué dans mon bilan du mois d'Octobre : ce livre est un coup de cœur, et je l'avais décidé alors que j'avais à peine atteint la moitié du roman. 







Genre : Fantastique, Mythologie
301 pages
Parution : 16 oct. 2014
Editions : Denoël/Lunes d'encre








Résumé de l'éditeur : 

Pour avoir offensé les dieux et refusé d'endurer sa simple vie de mortel, Sisyphe est condamné à perpétuellement subir ce qu'il a cherché à fuir : l'absurdité de l'existence et les vicissitudes de l'Humanité. Rendu amnésique par les mauvais tours de Charon - le passeur des Enfers qui lui refuse le repos - Sisyphe traverse les âges du monde, auquel il ne comprend rien, fuyant la guerre qui finit toujours par le rattraper, tandis que les dieux s'effacent du ciel et que le sens même de sa malédiction disparaît avec eux.

Mise en bouche : 

" "- Et bien finissons-en! Sacrifions au rituel. Je te demande : trois oboles pour le Passeur, ou une éternité de langueur?[...]
- Je n'ai d'autre richesse que cette pièce sur mon œil borgne, que je ne peux pas retirer. Et tu le sais.
- Oui, je le sais. Mais c'est mon rôle d'exiger l'obole à ceux qui veulent passer, et de refuser le passage à ceux qui ont mais ne donnent rien.
- C'est un rôle absurde.
- C'est le mien. Et il n'est pas plus absurde que celui du maudit condamné à rouler sans fin son rocher jusqu'en haut de la montagne, avant de l'y laisser choir et de recommencer son ascension."
[...]Dans ma chair, je sais avoir déjà vécu cette scène un nombre incalculable de fois. Je hais cet être qui m'interdit de me reposer tout autant que de recouvrer la mémoire. Mais je sais aussi que c'est malgré lui qu'il est mon geôlier, et que cela l'empoisonne autant que le venin d'une vipère."

Mon avis : 

    Après qu'il ait brûlé son temple et enlevé une des ses prêtresses, Zeus envoie son frère Hadès rechercher le mortel Sisyphe pour l'entraîner dans le Tartare, la région des Enfers où ceux qui ont défié les dieux se voient condamnés à endurer les pires tortures pour l'éternité. Mais dans son orgueil, Sisyphe tente même de déjouer la mort, au point d'être condamné à mourir puis renaître sans fin au milieu de ce que l'humanité a de plus absurde : la guerre.
    J'ai vraiment aimé me plonger dans une histoire ayant l'Enfer - les Enfers, en l'occurrence - comme décor. C'est une imagerie qui m'a toujours séduite pour les possibilités narratives qu'elle offre. Pourtant, les histoires de ce type ont été jusque là plutôt absentes de ma bibliothèque, mis à part le premier volume de la Divine Comédie et l'Univers à l'envers, un roman de Philip José Farmer dont je vous parle bientôt. 
   En plus de l'au-delà, Trois oboles pour Charon m'a offert une sorte de collection de tous les thèmes de la littérature fantastique qui me sont chers : le double (Charon et Sisyphe, les éternels adversaires), les fantômes, et bien sûr les revenants de manière plus générale, en la personne de ce pauvre Sisyphe, condamné à passer d'un monde à l'autre.
    Les chapitres relatant les brefs - mais intenses - passages de Sisyphe dans ce monde des mortels qu'il a tant méprisés constituent des nouvelles, entrecoupées des récits des visites de Sisyphe à Charon, de ses errances dans les Enfers. Ces moments possèdent une atmosphère singulière, l'écriture est particulièrement poétique ; c'est là que j'ai commencé à vraiment apprécier à la fois le roman et le style de l'auteur.  Ils se dénotent des retours à la vie notamment par le fait qu'ils ne possèdent pas, comme les autres chapitres, de localisation précise dans le temps et l'espace ("Sur une plage de sable cendre - Côte du sous-monde"). Ferric nous entraîne à la suite de Charon dans un monde où le temps n'existe plus, dans lequel il oublie, souffre, et tente désespérément de retrouver son identité. Ces morceaux hors du temps, pendant lesquels le condamné erre, sans aucun contrôle de sa situation, nous plongent dans une ambiance tout aussi cauchemardesque que mélancolique.
   J'ai aimé voir comment Charon se jouait de Sisyphe, cette lutte qui n'en finissait pas chaque fois qu'il revenait au royaume des morts, même si j'avais de l'empathie pour lui. Le duel entre les deux rythme le roman, qui prend sens au fur et à mesure que Charon accepte de livrer des réponses à celui qu'il torture.

Les mots de la fin :

    La plume de l'auteur parvient à nous bouleverser comme à nous provoquer, en mêlant vocabulaire cru, scènes parfois trop violentes à mon goût et réflexions de Sisyphe sur l'absurdité de l'humanité, des dieux, du monde. Si je n'ai d'abord été que partiellement convaincue par le prologue et le premier chapitre, les errances de Sisyphe aux Enfers m'ont conquise par tout ce qui se dégage de ces passages.
   Trois oboles pour Charon est une belle réécriture, dont je suis ressortie sonnée. 

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